L'incarcération de Jair Bolsonaro aux côtés de généraux de haut rang marque une rupture sans précédent avec la longue histoire d'impunité militaire au Brésil. Leur condamnation constitue un rappel décisif de la résilience démocratique au moment même où des pressions autoritaires - internes comme étrangères - tentaient de faire dérailler l'État de droit.
L'emprisonnement de Jair Bolsonaro et de plusieurs officiers généraux représente un tournant majeur dans la trajectoire démocratique du pays. Pour la première fois depuis la proclamation de la République en 1889, des généraux ont été jugés et condamnés par un tribunal civil pour avoir comploté contre les institutions démocratiques.
Cet épisode sans précédent révèle non seulement la solidité de la démocratie brésilienne, mais aussi l'affirmation d'un ordre constitutionnel désormais capable de se défendre contre les menaces autoritaires, quel que soit le grade ou la position politique des accusés.
La Cour suprême fédérale (STF) a clos le processus judiciaire après l'épuisement de tous les recours. Bolsonaro commence maintenant à purger une peine de vingt-sept ans et trois mois, d'abord dans une installation spéciale de la Police fédérale à Brasília, où il conserve l'accès à ses avocats et à des soins médicaux sans autorisation préalable.
Les généraux condamnés avec lui, dont d'anciens commandants de l'armée et de la marine, sont pour l'instant détenus dans des installations militaires, mais devraient perdre leurs grades et être transférés dans des prisons civiles. Un autre co-conspirateur, l'ancien chef des services de renseignement, a fui aux États-Unis, où son extradition reste improbable malgré des mandats Interpol imminents.
Une étape judiciaire majeure dans un pays longtemps marqué par l'impunité
Les épisodes autoritaires du XXᵉ siècle brésilien ont presque toujours été suivis d'amnisties ou d'accords politiques protégeant les responsables. Cette logique est désormais brisée.
Les condamnations actuelles découlent d'un procès transparent, télévisé, respectant strictement le contradictoire et les droits de la défense. Une intégrité procédurale qui contraste fortement avec le comportement de Bolsonaro lui-même, qui avait tenté de manipuler son dispositif de surveillance électronique et d'entraver les enquêtes, justifiant ainsi la fermeté de la Cour.
Bolsonaro et ses associés ont été reconnus coupables d'avoir dirigé une organisation criminelle armée, tenté d'abolir l'État démocratique par la violence, organisé un coup d'État (ils avaient rédigé une « minute » du coup et un plan détaillé pour assassiner le président élu Lula da Silva, son vice-président et le juge de la Cour suprême Alexandre de Moraes), ainsi que d'avoir causé des dommages aggravés aux biens publics et attaqué un patrimoine protégé lors de l'invasion du 8 janvier 2023.
La nature délibérée et multistade du complot, allant de la délégitimation du système électoral aux projets d'assassinats politiques et à l'implantation d'un coup militaire, montre à quel point l'ordre constitutionnel était réellement menacé.
Si le plan a échoué, c'est d'abord parce que le commandant de l'armée a refusé de s'y associer, rompant avec ses homologues de la marine et de l'aviation ; ensuite parce que la Cour suprême a agi avec une rapidité exemplaire pour freiner les conspirateurs ; enfin parce que le président Lula a volontairement refusé d'autoriser une intervention militaire à Brasilia le 8 janvier 2023, huit jours seulement après sa prise de fonction, alors qu'il se trouvait en déplacement pour répondre à une catastrophe naturelle.
Renforcer l'État de droit sous la pression de Donald Trump
Sur le plan géopolitique, l'indépendance du pouvoir judiciaire brésilien a été mise à l'épreuve par des pressions étrangères, en particulier par l'administration de Donald Trump.
Les sanctions imposées aux juges de la Cour suprême, comme l'annulation de visas, restrictions financières, application de la loi Magnitsky, furent sévères et clairement motivées par des intérêts politiques, en représailles à leur refus de céder aux exigences américaines.
Malgré cela, la STF n'a pas flanché. Le courage de certains magistrats, notamment Alexandre de Moraes, responsable du procès, dont la famille a été directement ciblée, témoigne d'une maturité institutionnelle remarquable. Le contraste avec la gestion américaine de l'insurrection du 6 janvier 2021 est frappant.
Comme l'a noté Reuters, Bolsonaro a fini par être « abandonné par Trump », devenu pour lui un fardeau politique une fois les tarifs douaniers assouplis. Par ailleurs, la justice américaine n'a pas fait preuve de la même rigueur que la justice brésilienne envers ceux qui ont menacé les institutions démocratiques. Par contre, l'organisation et l'ampleur des événements brésiliens étaient bien plus graves que ceux observés aux États-Unis.
Cette divergence renforce l'image du Brésil comme une démocratie suffisamment robuste pour affronter l'autoritarisme, même lorsqu'un tel affrontement entraîne des coûts diplomatiques. Le Brésil constitue aussi un contre-exemple saisissant pour l'Union européenne, qui a souvent plié sous la pression américaine sur l'énergie, la régulation des géants du numérique (affaiblissement des régulations en matière de données, de marché et de concurrence), les politiques commerciales et l'assouplissement de ses ambitions écologiques.
Répercussions internes : fragmentation et recomposition de la droite
L'incarcération de Bolsonaro reconfigure le paysage politique national. Sa famille conserve une base d'extrême droite fidèle - environ 13 % de l'électorat - mais la droite plus large accueille sa chute avec un certain soulagement. Son affaiblissement légal et politique permet désormais aux partis conservateurs de préparer les élections de 2026 sans la dérive personnelle et imprévisible du bolsonarisme.
Tarcísio de Freitas, gouverneur de São Paulo, apparaît comme le candidat d'opposition le plus sérieux hors du clan Bolsonaro. Mais sa proximité idéologique avec le bolsonarisme est un atout autant qu'un piège.
Il tente de séduire les électeurs bolsonaristes tout en s'adressant au centre et à la droite libérale. Pourtant, sa défense publique de Bolsonaro lors des célébrations du 7 septembre et son soutien initial aux tarifs de 50 % imposés par Trump sur les produits brésiliens - alors même que son État est le premier exportateur du pays - lui ont valu les critiques de la presse conservatrice et du puissant secteur agro-industriel. Depuis le fin du procès, il a commencé à prendre ses distances.
Le système politique, dans son ensemble, semble désormais se détourner de la capacité de la famille Bolsonaro à dominer la droite.
Un sens historique : justice pour les torts passés, message pour l'avenir
Pour une grande partie de la population, la condamnation de Bolsonaro compense symboliquement l'absence de responsabilité durant sa gestion catastrophique de la pandémie, qui a coûté plus de 700 000 vies.
Bien qu'il n'ait jamais été poursuivi pour cette gestion - l'ancien procureur général ayant bloqué toute enquête -, les condamnations actuelles apportent un sentiment de réparation morale.
Mais la portée de ce moment dépasse Bolsonaro lui-même. Le Brésil montre qu'il est capable de punir les crimes contre l'ordre constitutionnel, de résister aux pressions étrangères et d'affirmer qu'aucun responsable, civil ou militaire, n'est au-dessus des lois.
En maintenant son indépendance face aux manœuvres coercitives de Trump et en révélant l'ensemble du complot - de la désinformation aux plans d'assassinats jusqu'à la création du chaos du 8 janvier - le pays envoie un message clair : les institutions démocratiques peuvent tenir, lorsqu'elles s'appuient sur une justice indépendante et une société civile vigilante.
À l'heure où de nombreuses démocraties subissent des pressions autoritaires croissantes, l'expérience brésilienne constitue un repère. Elle démontre que l'érosion démocratique n'est ni inévitable ni irréversible.
En tenant Bolsonaro et ses généraux responsables, le Brésil confirme que l'ordre constitutionnel n'est pas une simple abstraction : il est exécutoire, résilient et au cœur même de la vie politique.
Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique
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